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Lénine, Staline, et la musique

Alors que le Festival Radio France Occitanie consacre son édition au centenaire de la révolution russe d'Octobre 1917, une question demeure: comment la musique se portait-elle à l'époque Soviétique? Éléments de réponses en musique.

En 1956, Dimitri Nalbandian, peintre soviétique, dévoile à Moscou une œuvre intitulée Lénine chez Maxime Gorki.

Dans ce salon avec piano à queue, cadres dorés aux murs, et nappes brodées, Le camarade Lénine a subitement des états d'âme en écoutant l'Appassionata de Beethoven.

Lui qui intime aux prolétaires du monde entier à s'élever aux richesses de l'art et de la science, s'écrie: "cette musique n'est-elle pas trop bourgeoise pour le peuple?" Un questionnement qui donne un avant-goût des purges à venir.



Lénine parlait bien de cette musique:




En effet, la volupté des notes comptait peu aux yeux du fervent révolutionnaire Lénine. Si Beethoven cherche la perfection, c'est bien la force qui anime le prolétaire. Voila, en substance, la vision de la culture qu’insufflera Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, à un boxeur de rue ambitieux surnommé Staline, littéralement l'homme de fer. Bien que celui qui fera régner l'horreur sur l'URSS n'ait jamais eu véritablement les faveurs de son mentor, il se revendiquera comme Marxiste-Léniniste. C'est par justification idéologique qu'il se base pour éradiquer les "social-traîtres". Le compositeur préféré de Staline, Dimitri Chostakovitch (1906-1975) reste le meilleur exemple du goût stalinien pour la musique:





Il est important de noter l'impact qu'a eu le romantisme en Russie au début du XXe siècle. Les romantiques, fascinés par la grandeur du rôle de l'humain dans la création artistique, expriment joie, colère et indignation en musique. Les compositeurs russes vont s’atteler à raconter des histoires, avec des concertos et des ballets, une tendance sobrement intitulée "poèmes symphoniques".

L'époque Moderne (1940-145) étant assez pauvre en unité stylistique, Romantiques et Classiques vont donner le tempo en Europe.


A titre d'exemple, Antonin Dvorák (1841-1904), bien que tchèque et mort bien avant Octobre, est extrêmement populaire dans les milieux révolutionnaires de Petrograd (Saint-Pétersbourg). Et pour cause, sa Symphonie du "Nouveau Monde" est un hymne à la révolte qui galvanise aussi bien par les Bolcheviks en 1917, que les militants de Nuit debout en 2016:





Chostakovitch (1906-1973) a par contre pleinement vécu en compositeur dévoué, en apparence du moins, à la grandeur du soviétisme. Dans la Russie de Staline, sa vie était constamment en sursis. Le gouvernement exècre les œuvres trop élaborés ou trop avant-gardistes. Or, durant l'évolution de sa carrière, la tolérance du régime envers Chostakovitch a évolué en dents de scie. Si sa Symphonie No.1 et son Concerto pour violon lui ont conféré une stature de jeune prodige, son premier Opéra, "Lady Mc Beth" est jugé comme une glorification de l'Occident par Staline.


Alors que sa Symphonie No. 4 est tout bonnement censuré et interdite en URSS, il est autorisé à jouer sa Symphonie No. 5, mais il risque gros.


Qu'il compose selon son goût, ou celui de Staline, il est obligé de sacrifier ou sa vie, ou son amour-propre artistique. C'est dans ces conditions qu'il compose son œuvre ultime, d'un langage musical ironique, à la limite entre soumission et rébellion. Le coup de génie de Chostakovitch, est que dans les mêmes notes, dans les 250 La aiguë répétées en boucle à la fin, Staline entend la grandeur du pouvoir héroïque Soviétique, tandis que le peuple entend le bonheur faux et excessif auquel le régime l'oblige:





Exil, retour et désillusion


Ils seront quelques-uns, parmi les plus grands, à préférer le départ à la complaisance avec le pouvoir. Certains, comme Stravinsky (1882-1971), ne reviendront jamais. D'autres hésiteront, fuiront, puis s'en retourneront dans les bras de la mère-patrie Soviétique. Sergueï Prokofiev (1891-1953) fut de ceux qui se laisseront convaincre de revenir.



Pourquoi Prokofiev, à l'abri aux États-Unis, a-t-il choisi de revenir dans une URSS qu'il avait fuie en 1918, au lendemain de la révolution d'Octobre? Jamais il n'a répondu à la question. On sait qu'il vivait dans une certaine misère à San Francisco, tant sur le plan matériel qu'intellectuel. Il se disait "Frustré d'être arrivé trop tôt" dans une Amérique trop conformiste ou sa musique a, en effet, vingt ans d'avance.


Il rentre à Moscou en 1933. A peine reconnu citoyen soviétique en 1937, il perd le droit de se rendre à l’Étranger. Il doit alors composer des œuvres conformes aux exigences du régime, tout en gardant une patte stylistique qui lui est propre.

En 1934, il compose un ballet en trois actes, Roméo et Juliette, basé sur le roman éponyme de William Shakespeare. Le dramaturge britannique étant considéré comme trop bourgeois par l’État, il sera empêché de représentation jusqu'en 1938:




Ce mouvement-là, intitulé Dans des Chevaliers plaira particulièrement pour sa force et son rythme. Prokofiev devient excessivement populaire auprès du peuple, et Staline n'apprécie pas. Il voit une dimension quasi christique, limite perverse, à cet engouement qui s'empare des foules lorsqu'elles scandent le nom de Prokofiev à la fin des représentations.

Il perdra les grâces du pouvoir dès 1937. Sa femme, Mira, sera déportée en Sibérie durant 8 ans. Et pour sublimer l’ironie, Prokofiev décédera d'une hémorragie cérébrale le 5 mars 1953, une heure avant la mort de Staline.


Le formalisme étant déclaré principal ennemi de l'art soviétique, les compositeurs doivent se conformer aux principes du "caractère populaire" du "réalisme socialiste". Ceci désigne en réalité un appareil bureaucratique opaque qui sera en charge de valider ou non une œuvre en URSS. Si Chostakovitch et Prokofiev ont régulièrement étaient taxés de formalisme, d'autres compositeurs seront bien plus encensés par le régime.


Aram Khatchatouriane (1903-1978) s'imposa peu à peu comme l'un des compositeurs "officiels" de l'URSS. A la fois compositeur et député au Soviet suprême, il est acclamé par le Parti communiste. Si on reconnaît son talent, son don de chef d'orchestre, il fut souvent critiqué pour son amour du pouvoir.

Il signera néanmoins quelques-uns des plus beaux ballets de cette période de la musique, dont la célébrissime Danse des Sabres:





Khatchatourian est comme Staline, il aime la force et la passion dans l’œuvre. Mais il se fera surtout remarquer comme un précurseur de symphonies, il est l'un des premiers à utiliser du saxophone ou des percussions dans ses orchestres.

Son travail aura une telle influence durant le XXe siècle, que le réalisateur Stanley Kubrick reprendra la mélodie du ballet Gayaneh comme bande originale du film "2001: l'Odyssée de l'espace":






Dans le même sillage de Khatchatourian, et accessoirement dans la même période, se révéla au grand public le fabuleux pianiste et compositeur Dimitri Kabalevski (1904-1987). Véritable surdoué, l'enfant Kabalevski montre d'étonnantes aptitudes en mathématiques, en sciences, en physique et même en littérature. Il apprend par cœur les textes de Marx et Engels et les récite à la demande.

Adulte, il se passionne autant pour l'enseignement que la musique. Il voit dans les deux disciplines un partage de connaissances et d'émotions propre au communisme. Excellent pédagogue, Kabalevski trouve dans la notion de "talent" une empreinte bourgeoise à effacer. Pour lui, toute connaissance, technique ou artistique, est accessible à n'importe qui. Il ira jusqu'à publier entre des dizaines de manuels entre 1927 et 1940, intitulés "Recueil de pièces faciles pour les débutants". II devient une grande figure de la musique soviétique à partir de 1940, ses Opéras pour violon et piano, réputés instruments populaires, sont dans la droite ligne de la politique officielle:



Le réalisme socialiste Soviétique, ou la propagande par la culture


L'idéal stalinien consiste à élaborer une image de la société puis à l'imposer à la réalité même. Les thèmes du patriotisme, de l'héroïsme, de la jeunesse, du folklore, de l'enthousiasme populaire, dictent le contenu des œuvres. Mais dans les faits, ils seront assez peu à se conformer à l'idéal du réalisme socialiste. Même les plus fidèles, comme Kabalevski ou Khatchatourian, seront accusés de formalisme pour Jdanov, impitoyable chien de garde zélé de Staline.


Kabalevski mourra en 1982, dans une ambiance de déliquescence de l'ogre Soviétique. Aucun des compositeurs de cette période particulière des pays Slaves ne vivra assez longtemps pour voir l’effondrement du bloc Soviétique. C'est peut-être pour cette raison que leurs œuvres tranches dans le paysage de la grande musique, parce qu'ils s'adressent plus à l'émotion populaire qu'à l'intellect bourgeois. Considérer ces compositions comme simple outil de propagande serait réducteur. Il suffit de voir la manière dont Chostakovitch a suivi les codes pour mieux s'en affranchir. La musique dite révolutionnaire a surtout le mérite de parler d'elle-même, sans besoin de passer par un traducteur. Il suffit d'écouter un instant:



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